ADAPTER LA DYNAMIQUE DU SECTEUR DU DIVERTISSEMENT PENDANT LA PANDÉMIE DE COVID-19: L’EXPÉRIENCE DU CARNAVAL EN LIGNE

Propos recueillis par Marie Moncaut

Azem Bailey est un jeune entrepreneur, ingénieur du son et producteur de la Fédération Caribéenne de Saint-Kitts-et Nevis. Lorsque la pandémie a impacté les îles jumelles, le secteur culturel a dû trouver des alternatives pour s’adapter à de nouvelles formes d’expression, de diffusion et de promotion de l’art, de la culture et de l’identité locale. Il est devenu nécessaire de maintenir une dynamique culturelle sur le territoire et la version en ligne du Carnaval National a été un énorme succès, donnant une nouvelle plateforme de promotion de l’art et offrant de nouvelles perspectives

🟡 Peux-tu te présenter?

Je m’appelle Azem Bailey, je suis entrepreneur du spectacle, opérant principalement dans le domaine de la production d’événements en direct et de l’ingénierie sonore. Je suis à la tête de «Red Pill entertainment agency» une société de production, de gestion d’événements et agents d’artistes. Nous sommes situés à St Kitts, mais nous opérons dans toute la région.

🟡 Pouvez-vous expliquer le travail de votre société de production et comment la pandémie vous a affecté?

La pandémie a touché l’ensemble de l’industrie du divertissement. Peut-être plus que la plupart des autres industries, car la notre est basée sur la convivialité et le rassemblement de personnes. À cause de la pandémie, et des restrictions sur le rassemblement des personnes ; cela a vraiment mis une pression sur l’industrie du divertissement et mon rôle en tant qu’organisateur d’événements « live ». Donc, en tant qu’ingénieur du son, qui était l’une de mes principales sources de revenus avant la pandémie, je voyageais et je travaillais pour des festivals, concerts. Ce sont les deux activités qui ont été le plus affectées par la pandémie et donc à ce moment-là, j’ai vraiment dû prendre des décisions sur la façon dont j’allais fonctionner dorénavant. Ensuite, de nombreux événements en direct sont devenus virtuels pour que les artistes restent en contact avec leurs fans. Au départ, une grande partie de ce que nous voyions provenait des DJ qui se produisaient de chez eux et le diffusaient, en utilisant les médias sociaux pour rester en lien avec leurs fans, puis cela s’est répandu vers le monde des artistes eux-mêmes, puis l’organisation de concerts, rencontres, conversations et d’autres événements en direct pour interagir. En fait, nous avons alors réalisé qu’il y avait une opportunité pour nous de mettre nos compétences au service de ces nouveaux types d’événements: les événements en ligne. Ainsi nous avons participé à la production de la campagne électorale à Saint-Kitts en 2020, car elle contenait beaucoup de contenu culturel, de créativité et d’art. Plus tard dans l’année, le carnaval arriva et nous avons été contactés pour produire des événements virtuels pour le comité du Carnaval.

🟡 Alors, comment cela s’est-il passé avec le carnaval ? Pouvez-vous nous expliquer le format de la production de celui-ci ?

Plusieurs îles ont annulé totalement leurs carnavals. De notre côté, les frontières ont été fermées en mars et notre carnaval arrivait en décembre, cela nous a donné le temps de voir ce qui se passait et de planifier. La présidente du Comité du Carnaval, Mme Shannon Hawley, m’a contacté pour quelques idées car ils voulaient produire une série d’événements virtuels. Nous avons conclu que certains événements fonctionneraient bien en format virtuel tandis que d’autres devraient être reportés jusqu’à nouvel ordre. Nous avons pu présenter des formes d’art uniques non seulement aux locaux, mais aussi aux gens du monde entier. Nous avons eu des spectateurs qui ont regardé le carnaval depuis Taïwan, Singapour, les États-Unis. Nous avons eu beaucoup de vues des îles caribéennes voisines. Au total, nous avons pu rassembler pour le carnaval plus d’un million de vues. Au début, nous pensions faire des événements pré-enregistrés uniquement avec les interprètes et le personnel technique pour enregistrer. Progressivement nous avons été autorisés à avoir un public restreint avec quelques personnes. Nous avons fait une soirée Steel Pan, puis quelques groupes locaux pour la cérémonie d’ouverture du carnaval. Je pense que c’était l’un de mes événements préférés car nous avons pu mettre en valeur différents types de culture. Il y avait du folklore, nos clowns, notre musique locale et « les acteurs », une troupe acrobatique folklorique qui est unique. C’était donc l’occasion pour ces formes d’art uniques d’être présentées dans le monde entier. Nous sommes donc très fiers d’avoir pu l’organiser. Je pense que cela nous a obligés à nous concentrer sur la plus grande diffusion des événements. Depuis des années, les émissions de carnaval n’étaient pas nécessairement produites pour un public en ligne. Il a été produit pour un public physiquement présent.

🟡 Comment envisager une fusion du public en direct et en ligne ?

Je pense que nous pourrions avoir une fusion des deux publics, il est possible de trouver un équilibre. Nous avons découvert que les techniciens et les personnes impliquées dans l’aspect technique de ces événements ont vraiment dû monter en gamme. Tout le monde, des graphistes aux costumiers, a compris que ces concerts étaient plus que quelques minutes sur scène, que cela restera gravé pour toujours. Les équipes se sont mises vraiment au travail. Cependant, la production à la fois pour le live et pour le virtuel est quelque chose que nous devrons vraiment mettre en œuvre. Nous n’aurons pas le choix, à ce stade, c’est déjà la nouvelle norme, les attentes et le contexte ont changé, et je pense que c’est une bonne chose. Attention, il s’agit d’une production très lourde, surtout parce que c’est encore nouveau. Il y a des coûts initiaux importants associés. Surtout, nous n’avons pas encore compris exactement comment gérer ce nouveau mode de diffusion.

🟡 Alors, quels nouveaux modèles ou modèles économiques sont possibles avec cette nouvelle approche ?

Quelques groupes ont essayé de faire des événements de type «pay per view» mais avec un succès limité. Je ne pense pas que ce soit le modèle que nous pourrions utiliser ici. Nous allons devoir trouver un nouveau modèle et cela s’accompagnera d’une conversation et d’une négociation prudente avec les entreprises. Maintenant, nous sommes dans une période où les sponsors ne voient pas beaucoup de monde lors des événements, mais ils veulent toujours rentabiliser leur investissement pour avoir de la visibilité. Même si nous incitons plus de gens à regarder l’événement, les sponsors n’ont pas encore reconnu la valeur que cela représente. Il s’agit donc d’avoir cette conversation avec des entreprises, des sponsors. D’ailleurs, sur ce point précis, les négociations ont été difficiles ici à St. Kitts et Nevis. C’est encore autre chose que j’essaie de faire comprendre à certains producteurs: parce que tout notre public n’est pas local, les entreprises que nous devrions essayer d’attirer ne devraient pas seulement être locales. Donc, même s’il y a eu une certaine adaptation, il y a encore beaucoup d’acteurs du secteur qui souffrent. Les promoteurs qui organisent ces événements réduisent le nombre de divertissements parce qu’il y a moins de billets à vendre. Ainsi, par exemple, le promoteur pouvait avoir embauché trois chanteurs et un groupe pour jouer. Maintenant, il ne peut engager que deux chanteurs. Il ne peut même plus embaucher un groupe entier par exemple. Mais il n’y a pas que les gens sur scène. Beaucoup de personnel technique et du secteur du spectacle qui seraient traditionnellement engagés ne le sont plus.

🟡 Alors, comment qualifieriez-vous votre rôle à cette époque, en tant qu’ingénieur du son, mais aussi à la tête d’une société de production et le rôle des artistes en général ?

C’est bien plus qu’un travail. C’est une nécessité humaine. Je pense que c’est pour cela que nous avons vu l’adaptation se produire si rapidement et de façon si «agressive». En tant qu’humains, nous devons nous connecter. Nous nous connectons à travers ces métiers, ces formes d’art et cette culture, n’est-ce pas ? Notre culture, c’est notre identité, il n’y a aucun moyen de nous empêcher de créer cette culture. Parce que c’est aussi une construction sociale. Il s’agit de connecter les gens pour partager des messages, des idées, des sentiments et des émotions. Alors maintenant que nous ne sommes plus en mesure de nous connecter physiquement comme nous le faisions traditionnellement, comment pouvons-nous toujours partager les mêmes messages, émotions et idées

🟡 Alors, quels sont les projets futurs ?

Il ne nous suffit pas de nous asseoir derrière nos écrans, nos téléphones portables, télévisions, iPad et de regarder les gens jouer. L’une des choses que nous avons trouvées très intéressantes à propos du carnaval virtuel était la section des commentaires: les gens continuaient toujours d’interagir comme s’ils étaient à un événement traditionnel. Donc, s’ils assistaient à un événement en direct, les gens parlaient en allant au bar. Les gens en ligne disaient bonjour aux autres gens tous les soirs, ils revenaient et poursuivaient des conversations comme s’ils s’étaient rencontrés physiquement la nuit précédente et ainsi de suite. Donc, mon entreprise se focalise sur l’introduction de la réalité virtuelle actuellement, et je sais qu’il y a pas mal de promoteurs et autres producteurs dans les Caraïbes et dans le monde qui y travaillent aussi. Utiliser la technologie dont nous disposons pour créer l’illusion. Utiliser des éléments comme le Google Glass ou Google cardboard, qui sont des options très bon marché permettant d’amener l’événement chez les gens car ils ne peuvent pas physiquement se rendre sur les lieux.
Nous travaillons donc sur plusieurs événements: l’un des premiers que nous souhaitons faire est un club virtuel. Vous allez donc littéralement au club le week-end dans le confort de votre foyer. Vous allez utiliser votre téléphone portable et un morceau de carton avec un objectif qui vous donneront l’impression d’être dans un espace physique virtuel tandis que vous êtes à la maison.

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