En recherche de connexion avec son environnement, l’artiste Laura Aguilera Mendieta anime plusieurs projets collectifs dans la ville la plus australe du monde, Ushuaia.
🟡 Peut-on y réunir l’art, la nature et la communauté locale ?
Laura Aguilera Mendieta (artiste fuégienne- Ushuaia-Terre de Feu-Argentine) est née dans la ville de Rosario (Argentine), elle y a aussi fait ses études supérieures d’Art Visuel pour devenir professeure. Elle habite en Terre de Feu depuis 1994 et travaille à Ushuaia dans la gestion culturelle et en tant que commissaire d’expositions. Elle enseigne auprès d’enfants et d’adolescents des matières comme les Arts Plastiques, le Multimédia et en formation tertiaire la gestion culturelle.
Quant à sa trajectoire d’artiste, elle s’est lancée dans la recherche autour de la matérialité, en associant peinture, objets, installations, interventions urbaines dans le paysage. Dans le domaine social, elle participe à divers projets collectifs, à des associations de quartier et s’occupe d’une fondation culturelle. Elle expose depuis 1991 dans divers endroits comme le Fond National pour les Arts, le Centre Culturel Recoleta, le Conseil Fédéral d’investissement et le Palais des Glaces à Buenos Aires.
🟡 Comment a commencé ta passion pour l’art?
Pendant mon adolescence, à l’école où j’allais, il y avait une professeure d’art plastique qui fut un véritable exemple pour moi. Elle était peintre et sur le mur du collège elle avait réalisé une énorme fresque sur la thématique des espèces en voie de disparition dans notre région de Rosario, sur le fleuve Paraná. En plus, ses cours sur l’art étaient passionnants. J’ai pu sentir à ce moment-là les liens qui unissent l’art aux autres domaines de la personne comme par exemple la psychologie ou la philosophie qui faisaient aussi partie des matières enseignées. Je me souviens qu’en ce temps-là j’étais subjuguée par le mythe de la caverne de Platon. Je percevais que l’humanité pouvait se connecter à travers différentes dimensions et qu’elle pouvait mettre en marche de manière créative des idées très diverses. Les thèmes concernant la nature m’ont toujours intéressé et je sentais que les humains avaient par essence une nature créatrice.
🟡 A quel moment de ta vie tu as senti que la nature faisait partie de toi ou bien que toi, tu faisais partie d’elle?
Durant mon passage à l’école secondaire, quand j’avais 13 ans, j’ai connu le mouvement des Franciscains. J’ai été impressionnée par la vie de Saint François d’Assise qui chantait à la lune, au soleil, aux oiseaux et qui leur parlait. Il ne voulaient faire de mal à aucune espèce sur son chemin parce qu’elles représentaient toute la vie.
Bon nombre de personnes le considèrent comme le père de l’écologie. Il me semble que, comme lui-même l’a fait, tous les habitants de cette terre doivent écouter ce message: le vivant est présent dans toutes les formes et il est là pour nous connecter; il nous invite à poursuivre une vie de profond respect et de conscience.
🟡 Que signifie pour toi être une artiste?
C’est être dans un processus permanent d’observation de mon environnement. Il s’agit pour moi de plonger dans une introspection pour comprendre comment ce “bout du monde” que j’habite et qui m’habite stimule ma créativité, mon émerveillement et le respect pour les éléments naturels. De nombreuses images ainsi que des projets culturels surgissent ainsi. Cet endroit, je le sens à la fois personnel et différent. Il est unique comme ce doit être le cas, j’imagine, de tous les autres endroits.
🟡 Qu’est-ce que t’a apporté ton approche de la langue française et des cultures francophones pour ton développement personnel ?
Bon, en fait, je crois que mon rapprochement avec cette langue m’a permis d’enrichir ma capacité de faire de nouvelles associations aussi bien à travers les sons qu’à travers les mots.
J’ai pu mieux jouer avec les contextes pour comprendre ce que sont les cultures et en l’occurrence la française associée à l’argentine.
C’est évident que cela a renforcé mon développement personnel; ça m’a aidé à repenser ma propre culture et socialement ça m’a permis de connaître des gens, de partager avec eux ceci ou cela. Sans aucun doute, l’Alliance Française est un lieu qui favorise les échanges interculturels.
🟡 Sur quels projets, sur le plan social et culturel, es-tu en ce moment et que rêves-tu pour ta communauté locale?
Ce qui me fait rêver, j’essaie de le mettre en place. Je suis proactive pour le développement de projets socio-culturels collectifs. Par exemple, de 2011 à 2019, j’ai lancé le collectif Laberinto qui a réussi à promouvoir, par le biais d’éléments naturels, dans le style “Land Art” , une manière différente de communiquer. On l’a appelé Marcher dans la lumière du Sud.
J’ai aussi développé un projet de résidence d’artistes, dénommé La planète d’Origine qui promeut les échanges culturels.
Par ailleurs, je préside une fondation à but non lucratif qui porte le nom de Arte y Cultura Ushuaia. Elle a pour vocation de faire interagir entre elles les communautés créatives. Dans ce contexte, nous avons créé un évènement annuel : le Festival Austral Crea Eco.
🟡 Tu peux nous en dire plus sur ton projet Taller Verde (Atelier Vert)?
Il repose sur l’expérience et la connivence culturelle pacifique. L’idée est d’avoir un espace pour la fondation “Arte y Cultura Ushuaia” et qui soit aussi la maison artistique pour les résidences de projets culturels durables .
Il nous engage dans un processus constructif aussi bien sur le plan de la structure matérielle en soi (agrandissement des espaces pour pouvoir réaliser des ateliers sur place) que sur le plan d’une construction sociale et éducative. Cet aspect est important parce que le processus d’organisation implique une participation communautaire dans toutes les étapes nécessaires pour atteindre nos buts. Dans cette optique, on a commencé à intégrer les savoirs-faire et les expériences aussi bien des équipes locales que des visiteurs. Il s’agit de faire vivre “circularité”, ce qui nous amène à réaliser des rencontres de types divers (recyclage, organisation, coordination) ou bien à mettre en place des étapes de la construction écoresponsable comme la construction d’un système de chauffage à haut rendement et l’utilisation de matériaux naturels pour les parois ou d’objets recyclés pour les sols et les huisseries. On s’est concentrés sur un projet de construction bioclimatique qui laisse place aux énergies renouvelables. On fait attention par exemple à optimiser la lumière naturelle ou encore la récupération des eaux de pluie pour alimenter le secteur des sanitaires.
🟡 Comment penses-tu qu’on pourrait obtenir une plus grande participation à des projets de protection environnementale de la part de nos communautés locales?
Je crois que la réussite passera par la voie de l’économie circulaire à toutes les échelles. Il ne faut pas seulement se centrer sur les grandes entreprises et les Etats qui ont tout à gagner à avancer dans ce sens mais aussi prendre en compte la dimension familiale et personnelle. Il s’agit de prendre conscience que tout peut être transformé et être réutilisé, sans provoquer de consommation excessive. Je crois aussi qu’on doit être plus solidaire et demander autour de soi à qui peut servir quelque chose dont je ne me sers pas. De cette manière, notre impact sur l’environnement est tout de suite plus raisonnable.