Créer à partir de déchets plastiques : “penser la matière comme une énergie : elle ne se détruit pas, elle se transforme”

Propos recueillis par Clara Froumenty et Florian Davrou

Clandestino Labs est le premier studio de design au Panama qui utilise le plastique usagé comme matière première, avec lequel il crée des objets d’art et de mobilier. Sa mission est d’impulser une économie responsable et circulaire, pour rendre possible un monde qui produit moins de gaspillage et optimise la réutilisation des ressources existantes.

Clandestino Labs est composé de Nahuel Lerner et Juliana Luján. Ils se sont connus en 2017 et depuis, ils travaillent sur un projet de vie qui leur permette de participer à la société et à l’économie dans une perspective plus responsable. Ils ont créé Clandestino Labs en 2020, Nahuel en tant que directeur artistique et Juli directrice exécutive. Ils consacrent depuis 100% de leur temps au développement de cette initiative qui cherche à promouvoir l’économie circulaire à travers le design, l’art et la technologie.

🟡 Qu’est-ce que le projet Clandestino Labs ? Comment le définiriez-vous ?

Clandestino est un studio de design et de production qui part du principe de transformer des matériaux ayant atteint leur fin de vie productive pour leur donner un nouvel usage, que ce soit comme oeuvres d’art ou de forme utilitaire, avec l’objectif d’impulser une économie circulaire et responsable, diminuant l’incidence négative du plastique sur nos vies.

“Notre activité principale consiste en la transformation de déchets plastiques en matières premières (en lamelles) avec lesquelles nous imaginons et produisons des meubles et des accessoires pour la maison et l’entreprise, ainsi que des œuvres d’art pour des espaces publics comme privés. Notre produit est innovant pour la région puisque nous partons d’un problème (le plastique usagé) et nous le convertissons en opportunité (des lamelles de longue durée). Sous forme de lamelle, cette matière première est également vendue aux entreprises de construction et de design, qui peuvent l’utiliser et la transformer selon leurs nécessités.

Clandestino Labs offre à ses acheteurs la possibilité de se concevoir eux-mêmes comme acteurs du changement : ils prennent activement part à un système de consommation responsable qui génère un changement positif dans la manière d’interagir avec nos déchets et la planète.

🟡 Pouvez-vous décrire la situation panaméenne en termes de recyclage des déchets ? Que recommandez-vous pour améliorer et valoriser le recyclage au Panama ?

Le Panama, à l’échelle nationale, génère autour de 4.400 tonnes de déchets par jour. On estime que dans la ville de Panama, chaque individu produit autour de 1.2kg d’ordures par jour, et que le plastique compose 19% des résidus. Le reste des plastiques termine dans des décharges, des incinérateurs ou polluant l’environnement. “Actuellement, nous n’avons pas de procédure, de mécanisme ou de projet pour le plastique en tant que tel” a reconnu le directeur de l’Autorité de l’Hygiène Urbaine et Domestique (Autoridad de Aseo Urbano y Domiciliario – AAUD), Pedro Castillo. En effet, moins de 5% du plastique collecté est recyclé, en l’exportant vers d’autres pays; augmentant l’empreinte carbone, et privant le pays d’une matière première résistante et innovante, et du développement d’une industrie révolutionnaire et écologique.

Clandestino offre la proposition suivante : réutiliser le plastique pour générer des bénéfices à divers niveaux de la société, non seulement au niveau de la gestion environnementale, mais aussi au niveau de l’industrie, avec un impact direct sur l’économie et dans la société. La plupart des bénéfices que nous évoquons se reflètent dans les Objectifs de Développement Durable de l’ONU. 

🟡 De quelle manière orientez-vous votre travail pour répondre aux défis écologiques ?

Nous avons plusieurs manières de le faire. La manière la plus directe est le renforcement de la chaîne qui commence à se former au Panama dans l’industrie du recyclage. Ici, le défi écologique auquel nous nous confrontons est de savoir quoi faire avec les déchets massifs de plastique. Notre réponse : nous achetons notre matière première, le plastique usagé, déjà déchiqueté et séparé par couleur, aux uniques fournisseurs qui pour l’instant font cela au Panama : FAS Panamá et la Fondation REMAR… Nous avons été les premiers à acheter du plastique pour une consommation interne et non pour de l’exportation ! Il nous semble important de souligner que nous achetons la matière première, puisqu’en renforçant l’industrie du recyclage et en augmentant le nombre de travailleurs bénéficiant de ce commerce, nous atteignons un impact environnemental encore plus grand.

D’autre part, un autre de nos objectifs est de convaincre la population que notre proposition est valide; en d’autres termes, démontrer que le plastique recyclé peut être beau, versatile, moderne, durable et résistant. Et nous y sommes parvenus grâce à l’application du design et de l’art dans notre production.

🟡 Vous considérez proposer des ateliers autour de votre travail. Quel serait l’apport d’ateliers ouverts au public ?

La réponse est dans l’éducation ! Nous avons une grande responsabilité, celle de partager la découverte du plastique comme matériau précieux. Non seulement le plastique est un excellent matériau pour sa durabilité, ses couleurs et sa résistance, mais c’est surtout qu’il y a du plastique en excès ! Si nous apprenions à l’ utiliser, ou dans notre cas, si nous parvenions à partager nos connaissances sur comment utiliser le plastique, alors nous serions en train de convertir le problème en solution, et c’est ce que nous cherchons à apporter avec nos ateliers.

Les ateliers que nous offrons ne sont pas tous les mêmes. Certains, axés sur les plus jeunes par exemple, sont conçus pour inspirer afin de semer cette graine autour du recyclage, autour des possibilités créatives que nous perdons en jetant le plastique.  L’idée est qu’ils rentrent à la maison et transmettent ce qu’ils ont vu et senti, et avec un peu de chance, deviennent un agent du changement dans leurs cercles sociaux.

D’autres ateliers se concentrent directement sur la transmission de techniques de production avec le plastique usagé, avec l’objectif de ramener à la maison une pièce conçue et réalisée par les participants. Nous offrons aussi des accompagnements sur comment créer un espace ou un atelier de recyclage dans les écoles, les universités ou les centres communautaires. Nous pouvons nous adapter aux nécessités des clients pour leur remettre l’information dont ils ont besoin de la meilleure manière possible.

🟡 En tant que créateurs, comment pensez-vous que le design et l’art peuvent répondre aux enjeux écologiques ?

Le design et l’art sont les moyens que nous utilisons pour impulser le recyclage. Je pense que pour nous, est venue en premier l’envie d’utiliser l’art comme moyen de communication, et le design comme outil, afin de transmettre notre vision d’un monde plus juste, propre et beau. Ensuite, en rencontrant le plastique usagé comme possibilité, et en étudiant comment le manier, nous nous sommes rendu compte que le matériau recyclé racontait déjà l’histoire d’un monde distinct, et c’est ainsi que nous nous sommes appuyés sur le design pour faire parvenir ce message sous forme de sous-verres, de tables, de bancs… Également sous forme de sculptures et pièces artistiques dont la fonction, en plus d’embellir les espaces, est de créer des expériences basées sur un matériau qui raconte une forte histoire passée et future.

🟡 Quelle est votre conception de l’économie durable et comment vous y insérez-vous ?

Pour nous, l’économie durable est un concept qui demande une analyse plus profonde. Nous ne croyons pas en la durabilité comme principe, car nous savons que tout a un début et une fin. Essayer de perpétuer quelque chose, une vie ou une chose, est un peu contre-nature. C’est peut-être plus de l’ordre de ce que nous faisons quant à la manière dont nous consommons et jetons. La planète n’est pas pour toujours, et nous devons penser à la fin des choses, ce qu’il va se passer avec la matière quand elle termine son cycle de vie.

Nous préférons parler d’économie circulaire ou d’économie responsable. Nous savons que le recyclage n’est pas la solution aux problèmes environnementaux de la planète, mais nous savons aussi que de nombreux pays n’ont pas de solution au problème des déchets massifs. Nous aimons penser en termes d’économie circulaire car c’est un concept qui nous permet de penser la matière comme une énergie : elle ne se détruit pas, elle se transforme. C’est ainsi que nous voulons participer à l’économie et à la société en général, en apprenant à utiliser ce que nous avons déjà pour que notre passage sur terre ait un impact le moins nocif possible. Le soleil, l’eau, le vent, la terre, et nos déchets, sont tous des exemples de matière première qui, si nous savions mieux en profiter, diminueraient un peu, nous l’espérons, la consommation d’hydrocarbures.

🟡 Quelle est la suite pour Clandestino Labs ?

De nombreuses choses arrivent !

Depuis des projets de décoration intérieure, des interventions artistiques à grande échelle, des NFT, jusqu’au recyclage de voitures, essence comme électriques.

A plus court terme, nous recherchons un espace de production plus grand. Actuellement, notre atelier est à l’intérieur du Laboratoire de Transformation et Recyclage “ReLab” de la Ciudad del Saber à Panamá, mais depuis le début l’espace nous manque, nous avons beaucoup à faire et apprenons à faire plus de choses tous les jours.

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