Avoir le droit à la lecture est indispensable pour se mouvoir, pouvoir lire quelque chose qui nous bouscule, qui nous parle, et surtout, qui nous rende sentir libres de réfléchir, et même libres de ne pas lire.

Les médiatrices de lecture ici réunies ont en commun que leurs espaces n’ont pas été freinés pendant la pandémie.Elles ont démontré que les communautés de lecteurs vivent au-delà des bibliothèques ou des librairies, fermées pendant des mois. L’expérience et la professionnalisation auprès d’institutions culturelles, universitaires et surtout un travail constant auprès de publics très divers ont forgé une communauté de lecteurs avides d’histoires et de rêves, qui ont trouvé un espace dans lequel s’exprimer, imaginer et parcourir les mondes à travers de nouvelles histoires, auteurs et décors.
🟡 Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre projet ?
Xuany Mayahuel: je suis une femme nahua originaire de la région de Guerrero. Las espinas de Mayahuel est un cercle de lecture dans lequel nous échangeons autour de la littérature contemporaine écrite en différentes langues autochtones du Mexique. Certains poètes nous ont même enregistré un de leurs poèmes pour le partager avec notre public. Il me semble important que les gens connaissent le nom des différentes langues et qu’ils puissent écouter leur sonorité.
Magali Ledo et Ana Patricia Vargas: nous sommes médiatrices de lecture du collectif Arando voces. Nous offrons des ateliers de promotion de la lecture pour les enfants et les adolescents à partir d’une méthodologie ludique et artistique.
Ana Ramírez Muñoz: je suis médiatrice de lecture depuis 5 ans. Je dirige l’espace culturel pour l’enfance El callejón del Gañán, que j’ai co-créé en 2019. Situé dans le quartier de Xonaca, à Puebla, ce lieu héberge une salle de lecture et une salle de cinéma.
Abigail Rodríguez: je suis médiathécaire, éditrice de poésie et médiatrice de lecture depuis 10 ans dans une salle itinérante, appeleé Tegus.
🟡 Selon vous, quels sont les bénéfices de la lecture ?
Xuany: La possibilité d’apprendre et de lire en plusieurs langues, dans sa langue maternelle, ainsi qu’une traduction en espagnol; même sans les dominer, il est important de savoir qu’elles existent. Les livres nous donnent la possibilité d’entrer et de sortir de mondes différents, de naviguer à travers la vie et la sensibilité. Cela apporte une nouvelle expérience et conception de la vie, c’est merveilleux de voir les gens s’étonner et s’émouvoir en entendant la musicalité d’autres langues. Partager le travail des auteurs mexicains permet de nous rapprocher de la grande diversité linguistique et culturelle de notre pays, malgré la méconnaissance de cette littérature.
Magali et Pati: La lecture promeut la concentration, stimule la créativité, l’imagination et la connaissance d’autres mondes et formes de vie.
Ana: Ce que j’aime le plus de la lecture c’est qu’elle nous permet de connaître d’autres mondes et d’autres temporalités.
Abigail: Cela nous permet de rêver, d’avoir des histoires alternatives à celles que nous habitons, surtout maintenant durant la pandémie. Dans Lire le monde, Michèle Petit écrit que les livres nous donnent accès à ce que d’autres ont senti, imaginé, craint et pensé il y a des siècles, dans d’autres territoires, langues et cultures. C’est pour cela que les lecteurs, nouveaux ou expérimentés, trouvent dans les livres un refuge et un baume pour supporter ces temps incertains.
🟡 Les droits culturels (s’exprimer, créer et diffuser des œuvres, avoir accès à une éducation qui respecte ton identité culturelle, participer à la vie culturelle) font partie des droits de l’homme: quel type de droit est celui de lire ?
Xuany: C’est une possibilité, une ouverture, une invitation. Lire, c’est traverser le monde et savoir que nous ne sommes pas seuls. La littérature nous accompagne. Avoir le droit à la lecture est indispensable pour se mouvoir, pouvoir lire quelque chose qui nous bouscule, qui nous parle, et surtout, qui nous rende sentir libres de réfléchir, et même libres de ne pas lire.
🟡 Quelle est la situation des droits à la lecture au Mexique?
Xuany: La communauté a peu accès à cette littérature écrite en langue autochtone, et si cette difficulté est peu à peu combattue, elle n’arrive pas toujours aux personnes à qui elle devrait arriver à cause de sa faible production. C’est pour cela que j’ai décidé d’ouvrir le club de lecture, et de partager ces matériels de lecture de manière gratuite et digitale, ainsi que des liens de sites ou revues qui font ce travail de diffusion.
Magali et Pati: La situation est précaire, l’accès aux livres est limité, non seulement à cause de leur prix mais aussi à cause du peu d’intérêt et de la difficulté d’accès aux libraires, très centralisées.
Ana: Au Mexique les livres sont très liés à l’école, à l’éducation formelle, ce qui nous a poussé à un moment de notre vie à considérer la lecture plus comme un devoir que comme un droit. Nous avons besoin de démocratiser les livres et leur lecture, et reconnaître que tous les genres littéraires sont des lectures valides.

🟡 Comment vos pratiques comme médiatrices de lecture ont-elles changé avec la pandémie ?
Xuany: J’ai dû m’adapter aux pratiques virtuelles, échanger les parcs et les écoles par un écran. C’est un peu difficile parfois de savoir si les gens ont compris ce que je veux transmettre, la rétroalimentation est plus difficile. Un de mes plus grands défis fut de devoir affronter la solitude, ne pas compter sur la présence de l’autre. C’est complexe, mais cela a également un côté coloré, comme le fait de partager son regard sur une lecture avec des personnes venues d’ailleurs.
Magali et Pati: Nous nous sommes adaptées à la “nouvelle normalité” en transformant nos ateliers vers le virtuel, ce qui nous a ouvert d’autres horizons. Cela a permis d’impulser encore plus le projet.
Ana: Cela fut difficile, nous avons pu diffuser des lectures, des textes, des ateliers, mais la distance sociale nous a empêchés de partager l’espace et les livres physiques; les enfants ont eu moins le choix de leurs lectures. D’un autre côté, nous avons plus été présents dans des espaces publics, avec des résultats enthousiasmants, ce qui a permis des rencontres plus personnelles avec certains enfants et leurs accompagnateurs, qui ont continué à chercher des lectures.
Abigail: Avec la salle itinérante, nous avons lu dans un haut-parleur avec ma voiture, et avons réalisé des séances en plein air. J’ai également créé un club de lecture sur Zoom, avec l’Alliance Française. Il faut penser que dans un pays comme le Mexique, la fracture numérique est réelle et les besoins sont multiples.
🟡 Quelle seraita meilleure manière de respecter le droit à la lecture ?
Xuany: Le libre accès aux matériels, avoir les exemplaires physiques ou virtuels de ces œuvres. Et surtout, choisir de lire parce que cela provoque en nous une curiosité, un goût, et non pas une imposition.
Magali et Pati: Sensibiliser au fait que la lecture est importante pour la construction de l’identité, en plus d’offrir des espaces de partages et de rencontres.
Ana: Que les lectures se partagent dans tous les espaces publics ! S’il existait des salles de lecture ou des bibliothèques publiques accessibles à toutes les familles, nous considérerions peut-être les livres et les lectures comme une véritable forme de détente et de récréation.
Abigail: En offrant des espaces pour la lecture, libres, gratuits et disponibles. La bibliothèque est un lieu de disponibilité et d’hospitalité, de générosité et d’écoute active.
🟡 De quoi avez-vous besoin pour maintenir des projets de promotion de la lecture ?
Xuany: De confiance, d’amour et de travail collectif. Parier sur de nouvelles propositions, fournir du matériel et diffuser. Cela me paraît également fondamental de minimiser l’importance de l’intellect lors de la lecture, cela permettrait que les gens s’en rapprochent en ayant moins peur d’échouer à la première tentative.
Ana: D’après mon expérience, le projet se maintient grâce à une espèce de mélange fait d’amour, d’engagement, d’envie et de temps. Il serait merveilleux d’avoir des soutiens nous permettant de réaliser notre travail de manière moins chaotique, mais nous continuons de le faire de toute façon.
Abigail: Le soutien d’institutions et de politiques publiques pour accompagner le travail de ceux qui font partie du circuit du livre, dans toutes ses facettes. Certains soutiens existent déjà mais ils doivent se multiplier, car les résultats à long terme sont très gratifiants pour la communauté.
🟡 Une anecdote que vous souhaiteriez partager ?
Xuany: La première fois que j’ai ouvert le cercle de lecture, j’étais tellement stressée que j’ai oublié les codes de la plateforme ! Heureusement ils n’étaient pas loin, mais je n’oublierais jamais le cœur qui bat à la chamade, et je priais pour qu’Internet ne me lâche pas. Ce fut le début d’un rêve qui grandit peu à peu. Je voudrais juste vous rappeler qu’il y aura toujours quelqu’un pour vous accompagner, et que sur le chemin, d’autres s’ajouteront; rapprochez-vous de ces espaces, ouvrez-en un, vous n’imaginez pas comme c’est merveilleux de se retrouver autour de cette passion qui s’étend, aussi grande que l’horizon.
Abigail: Le club de lecture a commencé un vendredi de mai à 17h, nous avons lu Hiroshima mon amour de Marguerite Duras et depuis nous avons lu 35 livres: des romans, du théâtre, de la poésie, de la BD, de l’histoire, des livres jeunesse. Ce sont aussi des bouts de leur vie que les lecteurs nous ont partagé à travers ces histoires. Nous avons écrit, rêvé, pensé, ri, pleuré aussi. Le plus important est que nous ayons pu nous connaître et sortir un peu de la réalité. Les espaces de lecture sont avant tout un lieu où l’on démontre que la lecture n’est pas un acte solitaire, qu’il appartient à une chaîne de volontés pour que l’imagination perdure.
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