LA GALERIE D’ART CONTEMPORAIN COMME LABORATOIRE D’INNOVATION

Propos recueillis par Yann Lapoire


Paulina Macias dirige depuis 2012 la Galerie Libertad, un des principaux espaces d’art contemporain à Querétaro. Elle est par ailleurs professeure au TECde Monterrey, traductrice, curatrice et co-dirige une librairie indépendante. La pluralité de ses activités repose néanmoins sur une ambition commune : promouvoir la création artistique contemporaine et développer des projets profondément inscrits sur le territoire, nourrie par une démarche anthropologique et sociale. Depuis 2020, la Galerie Libertad a adopté une nouvelle direction artistique adossée à un véritable laboratoire d’expérimentation, LATA (Laboratorio de Tecnología y Arte). Comme si elle avait anticipé ce nouveau paradigme, et l’adaptation des pratiques culturelles qu’il suppose, et dans laquelle la crise a plongé le secteur des arts visuels notamment

🟡 Début 2020, avant même la crise, tu avais proposé une nouvelle direction artistique pour la Galería Libertad avec le projet LATA. Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi et quel est l’objectif de ce laboratoire ?

Depuis un moment, on avait remarqué qu’on avait tendance à avoir des expositions interdisciplinaires qui intégraient de plus en plus des supports et des interfaces qui prenaient en compte la technologie et l’expérimentation. Et avec l’inauguration du Musée d’Art Contemporain de Querétaro, on a voulu profiter de cette tendance qu’on avait déjà observé pour distinguer la programmation de la Galeria Libertad des autres expositions proposées au niveau local. D’un autre côté, il nous semble que la pratique artistique a des liens étroits avec la recherche, l’exploration et l’apprentissage, donc l’idée d’un laboratoire, qui permettrait la formation et la production de pièces artistiques liées avec la technologie, avait du sens. On a ainsi proposé un projet qui puisse avoir une forme de restitution semestrielle, de formation, de production et de diffusion d’explorations qui associent l’art et la technologie, et aussi qui permette à la production locale de diversifier ses supports et au public de la galerie, de trouver des formes différentes et novatrices d’expression et de réflexion.

🟡 Comment avez-vous affronté la crise et la fermeture de la galerie ? Quelle a été votre réponse pour continuer à promouvoir une programmation artistique ?

Depuis mars, la Galeria Libertad a proposé des activités à travers des publications et des évènements virtuels : des petits projets de contenu qui cherchaient à promouvoir la réflexion artistique, la diffusion du travail de la galerie et de ses artistes, ainsi que le dialogue avec des créateurs, des intellectuels et des critiques d’art. On a programmé et créé des activités et des contenus liés à l’art qui ne sont pas connectés à ce qu’on fait physiquement à la galerie, on a aussi programmé du contenu conçu spécifiquement pour les réseaux, par exemple des analyses d’œuvres qui utilisent les mèmes artistiques, l’organisation de concours de photographie ou de mèmes, la réalisation de cours de gestion, production et réflexion artistique, le lancement de vidéos et de poésie digitale pensés spécifiquement pour la galerie. On a aussi déjà fait une programmation virtuelle qui répond aux activités qu’on a mis en place dans l’espace physique, tel que des visites guidées et enfin la nouvelle galerie virtuelle. Aujourd’hui, on se trouve dans un entre-deux. Entre la galerie fermée au public et une programmation d’ores et déjà fixée, on pense proposer un format hybride qui prend en compte ce qui aura lieu à la galerie (c’est à dire des expositions montées mais que, probablement, personne ne pourra venir visiter) avec une version numérique dans la nouvelle galerie virtuelle, accompagnées de quelques activités conçues spécifiquement pour l’espace virtuel. Pour réaliser tout cela, on a créé un projet qui débouchera sur une programmation complètement virtuelle courant 2021 et qui prend en compte les objectifs suivants : atteindre d’autres publics, envisager sérieusement notre communauté, approfondir nos histoires, avoir un dialogue plus étroit avec nos auditeurs, créer de nouveaux liens hors de nos contextes habituels et programmer du contenu original, payé et de qualité.

🟡 Comment montrer et donner vie aux expositions dans un contexte exclusivement virtuel ?

Je pense que c’est un très grand défi. Ce qui a fonctionnée, pour nous, c’est de «dépasser » la question de la distance obligatoire, imposée par les conditions actuelles, en mettant en oeuvre une communication pour des communautés plus spécifiques : des ateliers et des «mentorats », par exemple, même si c’est difficile de s’occuper de tout le monde, on le fait avec plaisir. L’idée c’est de penser à la qualité d’abord et pas à la quantité. Une autre chose qui a très bien marché c’est de faire des collaborations. Pendant l’été, on a travaille avec un compte Instagram qui propose des activités pour les enfants. Ensemble, on a posté du contenu sur l’art contemporain pensé pour les petits et publié sur nos deux comptes, le nôtre et celui de @mipequenacompania. Il faut toujours penser aux choses nouvelles, intéressantes et qui puissent s’adapter au plan stratégique qu’on a proposé et qu’on construit depuis mars de l’année dernière. On espère aussi ouvrir bientôt et accueillir notre public dans notre galerie.

🟡 En considérant toutes les expériences que vous avez mis en oeuvre, toi et ton équipe, et l’étroite relation que tu as avec la communauté artistique, penses-tu que le rôle des espaces et des acteurs culturels, comme une galerie d’art contemporain par exemple, devrait changer en se focalisant beaucoup plus sur l’appui à la création et la production artistique plutôt que sur la diffusion ?

Je trouve qu’en réalité, on devrait penser aux projets de manière globale et intégrale, qui commencent avec la création, la formation ou la recherche et qui finissent avec la diffusion et le stockage. Je pense que les processus artistiques créent des connaissances, après on en parle, on partage et c’est à ce moment-là qu’on devrait planifier ou repenser nos rôles.

🟡 As-tu eu la possibilité d’échanger avec d’autres galeries ou centres d’art au niveau national ou régional (en Amérique Latine) concernant ces sujets ou sur des formes de collaboration qui puissent aider à surmonter ces difficultés ? Penses-tu qu’il est nécessaire de travailler dans un réseau solidaire ?

Sans aucun doute, on le faisait déjà à Querétaro avant la pandémie. On travaille en collaboration avec tous les musées de la ville pour le montage, le matériel et même pour résoudre certains problèmes. On a toujours assez peu de ressources, matérielles et financières, et pourtant il y a beaucoup de projets. On travaille aussi de manière solidaire avec des artistes, à travers des projets, avec d’autres galeries et musées publics et privés d’autres villes ; chacun collabore à sa manière, comme il peut, et ainsi les projets peuvent se réaliser. Il n’y a pas d’autre façon de faire aujourd’hui. Pendant le passage de notre programmation présentielle à une version virtuelle et hybride. J’étais attentive aux échanges entre les différents musées. J’ai regardé toutes les conférences de la «Cátedra Inés Amor » qui a été lancé par le MUAC pour réfléchir à la question des musées, de leurs pratiques et de leur rôle. J’ai participé à un cours de la fondation Typa, et maintenant je suis dans un processus de formation de curateur organisé par le MACQ et Bema Space pour parler avec mes collègues de toutes les perspectives possibles en relation avec notre travail.

🟡 Le projet LATA est un laboratoire. Crois-tu qu’en ce sens, il pourrait favoriser des projets artistiques en lien avec des scientifiques, médecins, des chercheurs en sciences humaines voire des acteurs de la société civile, et comment faire ?

Bien sûr, c’est justement notre objectif. L’art est un processus de création de connaissance, même s’il n’est pas considéré comme un champ «utile», l’expérimentation prend des chemins surprenants. Il me semble qu’un espace libre pourrait générer des liens avec des chercheurs de plusieurs domaines. Ce que je trouve difficile c’est l’intérêt des domaines pragmatiques pour les pratiques artistiques. Je pense que, à travers le temps et avec les éditions dédiées à ces champs, on pourrait, au moins, arriver à faire des collaborations interdisciplinaires.

🟡 En guise de conclusion, quels sont les projets ou les expositions de 2021 que tu aimerais nous inviter à découvrir ?

Nous souhaitons mettre en place une édition «transmedias» du LATA, et j’en suis très heureuse. En février, nous avons eu deux artistes : Jesi Jordan, une artiste canadienne qui fait de la performance, de la photographie et des animations sur le corps. Et Fausto Gracia, qui mettra en place une installation et une action multimédia appelée «État d’alerte : l’expropriation de l’expérience». On a aussi quelques expositions qu’on n’a pas pu présenter l’année dernière des artistes incroyables comme Gilberto Lopez de Guanajuato et Elizabeth Calzado. Enfin, on est en train de travailler avec une collection privée pour présenter des pièces contemporaines très intéressantes.

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