Egly Larreynaga, comédienne et metteuse en scène, fait partie des acteurs incontournables de la scène artistique au Salvador. En effet, son travail est reconnu par sa force, sa sensibilité et son langage : elle aborde les sujets épineux de la société salvadorienne sous une approche sociale et de genre. Elle a co-fondé l’Association culturelle Azoro, qui regroupe plusieurs initiatives pour la transformation sociale à travers les arts de la scène. Son Nouveau projet est : La Nave Cine Metro, centre culturel, géré par l’association, implanté en plein cœur du centre-ville de la capitale salvadorienne et restauré pour promouvoir les arts et les manifestations culturelles
🟡 Pourrais-tu nous parler de l’Association Culturelle Azoro ?
Il s’agit d’une association que nous avons fondée avec mes collègues du Teatro del Azoro et qui est née d’un besoin du secteur culturel local. Depuis toujours, ce secteur a été marginalisé, en marge du cadre juridique. Cela nous a empêché de demander des fonds et des subventions. Au Salvador, la création d’une association est assez difficile. Cela représente non seulement un effort économique, mais aussi bureaucratique. Nous avons toutefois relevé le défi parce que nous voulions créer une plateforme, une sorte de parapluie, pour venir en aide aux artistes. L’association regroupe deux de nos compagnies de théâtre La Cachada Teatro et Teatro del Azoro. Dès le début de l’aventure, nous avons fait travailler des artistes membres ou non de l’association : des danseurs, des musiciens et des personnes qui avaient besoin d’un statut juridique afin d’être éligible à un appel à financement. Avec le temps, nous avons réussi à monter une équipe. Nous avons désormais une personne qui s’occupe de toute la gestion administrative. Nous avons quelqu’un qui gère la communication, une autre qui coordonne les projets, ainsi qu’un responsable de la logistique et de la production des spectacles.
🟡 Qu’est-ce-que La Nave Cine Metro ?
C’est l’un de plus gros projets montés par l’association. Il s’agit d’un ancien cinéma du centre historique de San Salvador, que nous gérons depuis peu et pour lequel nous avons signé une convention sur dixans. Les propriétaires nous ont facilité la démarche, en nous accordant un délai de paiement et un loyer très symbolique. Bien que l’association coordonne d’autres projets, l’idée est de canaliser plus d’actions vers le centre-ville, vers La Nave. Il y a 2 millions de personnes qui traversent le centre-ville de San Salvador tous les jours. Je rêve donc de monter un centre culturel contemporain, qui programme de la musique, du théâtre, de la danse, du cirque, des expositions… Et puis, il y un travail social à faire. Il y a une communauté d’enfants qui viennent et pour lesquels nous avons monté une pièce sur la Plaza de la Libertad. Nous sommes aussi au service des jeunes et des femmes. Nous avons fait des alliances avec des organisations basées dans le centre-ville, afin qu’ils nous connaissent, et de découvrir leurs actions. Avant la crise, nous avons organisé une réunion avec 300 vendeurs de rue, où se sont produites les actrices de La Cachada. Issues elles-mêmes de ce milieu, elles étaient en mesure de les motiver à venir, de leur dire que ce théâtre était aussi le leur. Lors de nos représentations à l’étranger, nous avons rencontré des gens qui aimeraient venir au Salvador. Nous avons maintenant un espace pour les accueillir. Notre salle est à disposition des artistes reconnus et émergents.
🟡 Comment la pandémie est venue vous impacter ? Comment avez-vous réagi ?
La première réaction était le choc, car nous avions beaucoup de projets en route. Nous devions lancer La Nave Cine Metro. Par ailleurs, la pandémie nous a frappés au point de perdre une collègue [La comédienne Ruth Vega de La Cachada Teatro, ndlr]. Au début, on se demandait quoi faire; je n’ai pas arrêté de me le demander pendant le confinement. La première semaine je me suis mise à pleurer, mais avec Gerardo, mon collègue qui gère la partie administrative de l’association, on s’est mis tout de suite en contact avec les financeurs de nos projets. Puisque les fonds avaient déjà été validés, il fallait que nous trouvions le moyen de réaliser ces projets en ligne mais avec une bonne production. On se demandait comment capter nos publics, comment faire quelque chose de soigné, avec plus de temps et de moyens. Nous avons donc décidé de faire nos ateliers, nos spectacles et nos tournées en ligne.
🟡 Quelles initiatives avez-vous engagées pour rendre accessibles vos créations en ligne ?
Un aspect positif du confinement est celui d’avoir réussi à croiser les langages du cinéma et du théâtre. Cependant, on s’est rendu compte que les coûts montaient vite, car si faire du théâtre est cher, faire du cinéma l’est encore plus. Or, nous étions en train de faire les deux. Heureusement, nous avons obtenu des fonds pour monter un projet qui comprenait trois monologues courts de 20 minutes, avec une metteuse en scène et une réalisatrice, qui ont adapté et réussi à conjuguer ces deux langages différents. Par ailleurs, nous avons commencé à faire de la radio avec La Cachada Teatro. Nous avons réalisé l’émission Radio Cachada afin de raconter des histoires orales. Nous avons commencé à profiter et à rechercher toutes les formes de communication que nous n’avions pas explorées auparavant. Nous avions déjà en tête l’idée d’exploiter le numérique avec La Nave, mais la pandémie nous a donné le coup d’envoi qui nous manquait.
🟡 Envisagez-vous de pérenniser ces initiatives numériques ?
Tout à fait ! La situation nous a motivés à travailler davantage sur le numérique. Nous collaborons avec des cinéastes dans le but de proposer deux versions de nos pièces, en présentiel et en virtuel. Pour le numérique, nous souhaitons que notre public puisse regarder depuis un portable tout en ayant la sensation d’y être en direct. Dans l’avenir, nous voulons améliorer la technologie de La Nave et diffuser nos pièces en streaming. Avec l’appui du PNUD, nous allons bientôt lancer un site internet payant où nous pourrons héberger et diffuser des pièces, ainsi que d’autres contenus audiovisuels de notre répertoire. Un tel site représente beaucoup d’argent, mais il verra bientôt le jour. L’idée étant de ne pas le réserver à la diffusion exclusive de nos contenus mais de le proposer à d’autres compagnies, à condition que la qualité soit assurée et que leurs contenus soient en adéquation avec nos valeurs.
On s’est tous réinventés, malgré tout. Bien que je continue à penser que le virtuel ne pourra jamais se substituer au présentiel, je le considère maintenant comme un atout. Nous l’avons constaté lors de la première numérique de notre pièce La Honra, car elle a été visionnée en Espagne, au Mexique et en Argentine.
🟡 La crise sanitaire a-t-elle permis de faire émerger des collaborations ou nouvelles solidarités dans le secteur culturel ?
Je trouve que beaucoup de choses intéressantes se sont passées au Salvador. Nous nous sommes unis, avons organisé des débats d’idées et avons exigé que le secteur culturel ne soit plus exclu, comme il l’a toujours été. C’est un secteur qui, bien avant la pandémie, était déjà en situation fragile, et pourtant il est très important pour la société. La pandémie nous a permis de nous réunir, d’imaginer de nouvelles formes de collaboration, de parler à des milieux avec qui nous n’avions pas échangé depuis longtemps. Toutes les disciplines artistiques se sont organisées. La difficulté de travailler ensemble a été mise en évidence, ainsi que l’urgence de faire quelque chose pour remédier à la situation. Je crois qu’elle a aussi généré une prise de conscience sur la situation des autres.
🟡 Comment cette crise a-t-elle pu redéfinir le rôle de la culture dans la société ?
Pendant le confinement, c’est l’art qui nous a sauvé ! La crise a mis en évidence le besoin humain d’écouter une chanson, de lire, d’apprécier une peinture, de voir une pièce de théâtre… En tant qu’artistes, je crois que notre mission est d’exiger des États des aides pour un secteur aussi nécessaire que la culture. Aujourd’hui, il y a une crise de valeurs C’est triste qu’on ne lui donne pas l’importance qu’elle mérite. Au Salvador, nous avons fait beaucoup de progrès depuis la signature des Accords de paix où il y avait une pièce tous les deux ans. Il y avait à l’époque un vide terrible qui a été comblé par les efforts de tant d’artistes qui, sans l’aide de l’État, constituaient déjà un patrimoine. De nos jours, il y a beaucoup de choses qui se font. Les ateliers universitaires de théâtre sont complets, par exemple. Lors du premier concert à La Nave, j’ai pu constater que la culture est venue dynamiser la rue où notre centre est implanté. Notre rue s’est illuminée cette nuit-là. Même les marchands sont restés plus tard.
Cette rue, qui aurait dû être dans le noir, était éclairée. Il y avait des gens qui marchaient, des gens qui, d’habitude, auraient eu peur. Il y avait de la musique. C’est une évidence: la culture dynamise nos sociétés. Nous avons besoin d’aide de la part des États, de l’entreprise privée. Nous avons eu de la chance au moment de rencontrer ce propriétaire visionnaire qui nous a cédé les droits d’utilisation du Cine Metro. Il a été clair : il ne voulait pas que sa salle soit occupée par une église ou une brocante. Il voulait de la culture ! C’est un message fort pour un lieu du centre-ville. La culture apporte énormément à l’identité des peuples. Si on pense au Mexique, l’image de Frida et du mariachi nous viennent tout de suite à l’esprit. Nous avons eu tellement de crises au Salvador que nous nous sommes habitués à l’idée que nous n’avons rien mais nous avons beaucoup. Ce qui nous manque c’est la formation, pour renforcer la capacité créative du secteur culturel.
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